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AFRIQUE ET SCIENCES SOCIALES
La macchémologie est une discipline encore peu connue dans le milieu universitaire en général. C'est apparemment le propre de toute science nouvelle. Les intellectuels africains gagneraient à adopter la macchémologie comme grille de lecture pour réaliser leur autonomie épistémologique. La macchémologie prend le contrepied de l’évolutionnisme social qui est la grille de lecture par laquelle les centres universitaires de l’Occident parviennent à maintenir les intellectuels africains sous leur tutelle épistémologique.
I. PRÉSENTATION DE LA MACCHÉMOLOGIE
La macchémologie est une discipline scientifique nouvelle fondée dans les années 1960 à l’Université parisienne de Saint Denis par Guy Emmanuel Galiba (Ngalebha), un universitaire africain aussi connu sous le nom de BEBEBE et qui fut professeur de philosophie et d'épistémologie des sciences. La macchémologie est présentée dans les 3 volumes de son ouvrage "Les Cahiers de la macchémologie".
La macchémologie est l’étude des macchèmes (actes de luttes et actes de combat) qui prennent leur origine dans des macchématiques (série de macchèmes intégrés, corrélés et liés par un sens, un but ou une fin). Ces macchèmes produisent des macchéta c'est-à-dire des traces, séquelles, hématomes, empreintes laissées par un macchème ou une macchématique. Maccheta est le pluriel de macchetum.
Un macchème est donc un acte de combat, un acte de lutte. Un macchetum est la trace laissée par cet acte de combat.
Une macchématique est une série de macchèmes intégrés, corrélés et liés par un sens, un but ou une fin.
Galiba nous donne l’exemple suivant: le coup de poing administré par Mohammed Ali à son adversaire est un macchème; quant à l’oeil poché que l’on voit sur son adversaire, c’est un macchétum.
Pour simplifier on va dire que la machémologie consiste à interpréter certains phénomènes sociaux comme une trace (macchetum) ou comme des traces (maccheta) laissées par des macchèmes (actes de luttes ou actes de combat).
Ainsi par exemple la frontière entre les 2 Corées est un macchetum laissé par un macchème (la guerre froide). La guerre froide elle-même en tant que macchème était l’expression d’une macchématique: la rivalité entre l’URSS et les USA pour universaliser leur modèle de société respectif.
Il importe de prendre conscience qu'un macchème ne se traduit pas seulement en termes d'acte de lutte matérielle (une guerre par exemple). Il peut aussi se présenter dans la forme d'un acte de lutte intellectuelle. Comme acte de lutte intellectuelle, un macchème peut être porteur d'une violence épistémologique et symbolique. Comme tel, il vise à obtenir la subordination intellectuelle de certains acteurs sociaux ou de l'ensemble d'un peuple. Tel est le cas du concept de développement (visionner la vidéo).
Mais à l'inverse un macchème peut aussi être porteur d'une charge épistémologique et symbolique libératrice. Comme tel, il vise à restaurer l'autonomie intellectuelle de certains acteurs sociaux ou de l'ensemble d'un peuple. C'est le cas de l'œuvre de Cheikh Anta Diop (lire à ce propos: Jose do-Nascimento, "La portée opératoire de l'œuvre de Cheikh Anta Diop", in Revue "NOMADE" n°1) et c'est aussi le cas du corpus argumentaire du projet de la renaissance africaine (lire à ce propos la communication de Jose do-Nascimento au colloque du CFMA - Abidjan, 18 novembre 2012 - sur "la Renaissance Africaine et le Christianisme"). En d'autres termes, tout macchème laisse une trace (macchetum). Mais ces traces ne sont pas forcément des traumatismes. Elles peuvent aussi être des fertilisants. Cela dépend de la macchématique qui est à l'origine du macchème.
Par exemple l'œuvre de Cheikh Anta Diop est un macchème scientifique et politique. C'est ce dont atteste de façon explicite sa conférence de Niamey (1984). Cette oeuvre a laissé des traces fécondes. Par exemple l'Afrocentricité est une trace féconde laissée par l'œuvre de Cheikh Anta Diop dans le domaine scientifique et politique. Les volumes de l'Unesco sur l'Histoire Générale de l'Afrique sont des traces fécondes laissées par l'œuvre de Cheikh Anta Diop dans le domaine scientifique. Le site de Ankhonline est une trace féconde laissée par l'œuvre de Diop dans le domaine de la vigie scientifique. Citons également, le site de Uhemmesut, et le site de Africamaat qui sont des traces fécondes laissées par l'œuvre de Diop dans le domaine politique et culturel.
La macchémologie a une racine latine: macher (combat, lutte). C'est sur cette même racine qu'a été formé le mot français logomachie.
En fait beaucoup de gens font de la macchémologie sans en être conscient. Il en est ainsi par exemple de toutes les personnes qui recourent au concept de renaissance historique. Un processus de renaissance historique suppose en effet un cataclysme antérieur qui a laissé des traces en termes d'handicap, un cataclysme antérieur qui a laissé des pathologies. Le processus de renaissance historique vise justement entre autre chose à faire échec à ces pathologies.
Ci-joint le cahier n°3 du fondateur de la macchémologie. Il y présente la macchémologie comme une science mère. Ainsi vous pourrez faire votre propre interprétation de ses travaux.
II. DES EXEMPLES D’ANALYSE MACCHÉMOLOGIQUE
1) José do-Nascimento a utilisé la macchémologie comme grille de lecture pour comprendre l'origine de la condition actuelle des sociétés africaines et les solutions de modernité qu'implique cette origine. À ce sujet, il faut lire son article "Deux paradigmes concurrents de la modernité en Afrique", in "La Renaissance Africaine comme alternative au développement", sous la direction de José do-Nascimento (Edition L’Harmattan, 2008). On peut aussi regarder sur ce sujet la vidéo de la conférence qu’il a donné à Poitiers intitulé La renaissance africaine comme alternative au développement.
2) On peut aussi à partir de la macchémologie faire le départ entre le paradigme du développement et le paradigme de la renaissance africaine. Ce sont deux paradigmes qui s'opposent du point de vue de l'interprétation de la causalité de la condition actuelle des peuples africains et du point de vue des perspectives de modernité des sociétés africaines.
Le paradigme du développement repose sur la philosophie européenne de l'histoire. À savoir, l'histoire comme mouvement socio-linéaire et cumulatif. Ce paradigme invite à interpréter la condition actuelle de l'Afrique à partir d'une grille de lecture évolutionniste. À savoir: le retard historique. C'est pourquoi ce paradigme prône comme perspective de modernité pour l'Afrique, une perspective de rattrapage historique.
Le paradigme de la renaissance africaine repose sur la théorie de la régression historique. Il véhicule donc une lecture et une interprétation macchémologique de la trajectoire historique de l'Afrique depuis le 16e siècle. A savoir, la perte de la capacité à l'initiative historique du fait de la violence géopolitique d'origine interne et externe que les sociétés africaines ont subi depuis le 16e siècle. C'est pourquoi, ce paradigme prône comme perspective de modernité pour l'Afrique la reconquête de l'initiative historique c'est-à-dire la réappropriation par les Africains de leur capacité à produire par eux-mêmes les conditions matérielles et immatérielles de leur propre existence. C’est cela la Renaissance Africaine d’un point de vue macchémologique.
3) Les relations internationales donnent de belles illustrations de macchèmes, de macchéta et de macchématiques. Prenons par exemple la Guerre froide. La guerre froide a été un macchème. Elle s’est traduite par divers actes de luttes et actes de combat. On peut citer:
• la guerre entre la Corée du Sud et la Corée du Nord;
• la guerre entre le Vietnam du Sud et le Vietnam du Nord;
• la guerre entre les dictatures compradores et les mouvements de libération en Amérique du Sud;
• les rivalités entre les Etats pro-occidentaux et les Etats progressistes en Afrique;
• le Maccarthisme aux USA, etc.
Ces actes de lutte et acte de combat prenaient leur origine dans une macchématique précise: la rivalité entre l’URSS et les USA pour l’universalisation de leur modèle respectif de société. La guerre froide en tant qu’ensemble de macchèmes a laissé sur le tissu social de beaucoup de pays des macchéta (traces, séquelles) dont les effets ont perduré au-delà de la guerre froide.
En Afrique par exemple, la guerre froide a provoqué au sein de notre tissu social la formation d’un macchetum particulier: l’Etat libertaire. Par Etat libertaire il faut entendre un Etat qui n’admet aucune autorité au-dessus de lui (ni Constitution, ni Référendum) et aucune opposition devant lui (rejet du pluralisme politique).
Cet Etat est le produit de l’axiologie politique de la guerre froide. En effet, dans la phase postindépendance, le contexte géopolitique international offrait aux acteurs politiques africains la perspective d’un gouvernement stable et exonéré de toute légitimité politique interne.
Dès lors en effet qu’un gouvernement s’alignait en matière de politique étrangère et réprimait l’opposition en matière de politique intérieure, l’une des deux grandes puissances lui garantissait l’assistance militaire nécessaire à la stabilité de son pouvoir. En d’autres termes, les deux grandes puissances concédaient aux personnes en charge du gouvernement une latitude libertaire à l'endroit de leur société civile, en échange d'un alignement en politique internationale.
Cette latitude libertaire ne pouvait que conduire les leaders politiques africains à céder à l’inclination naturelle vers laquelle tend tout pouvoir. A savoir, l’abus de pouvoir.
Les acteurs politiques en Afrique ont su exploiter cette latitude libertaire que leur concédait la géopolitique du conflit Est-Ouest, pour monopoliser la scène politique (parti unique, suppression des libertés) et allouer, en toute impunité, les ressources financières de l'État à la satisfaction d'intérêts privés. Bref ils ont su mettre à profit l’axiologie du conflit Est-Ouest pour organiser un système politique libertaire.
Tous les politologues qui étudient la société politique africaine en dehors des préjugés de l’évolutionnisme social aboutissent à la même conclusion. Il en est ainsi du politologue Daniel Bourmaud ("Politique en Afrique", Edition Montchrestien, 2008) selon qui les acteurs politiques en Afrique ont su exploiter la rente bipolaire pour conserver le pouvoir.
C’est l’exploitation de la rente bipolaire par les acteurs politiques africains qui a conduit à ce que l’Etat en Afrique se soit progressivement construit comme Etat libertaire. De là vient par conséquent cette culture de l’intolérance politique qui s‘est généralisée aux acteurs politiques africains. Ceux-là même qui dans leur ensemble ont fait leur classe au sein des partis uniques ou au sein de partis d’opposition dont l’idéologie épousait le sectarisme de la guerre froide.
C’est cette culture de l’intolérance politique qui a conduit à l’échec des conférences nationales organisées dans le cadre du processus de transition démocratique.
José Do-Nascimento
Directeur de l’ARPEMA (Association de recherche sur les perspectives de la modernité en Afrique)
Email: do-nascimento@orange.fr