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Lumumba.
« Les observateurs qui se sont trouvés dans les capitales africaines pendant le mois de juin 1960 pouvaient se rendre compte d'un certain nombre de choses. De plus en plus nombreux, en effet, d'étranges personnages venus d'un Congo à peine apparu sur la scène internationale s'y succédaient.
Que disaient ces Congolais ? Ils disaient n'importe quoi. Que Lumumba était vendu aux Ghanéens. Que Gizenga était acheté par les Guinéens, Kashamura par les Yougoslaves. Que les civilisateurs belges partaient trop tôt, etc ...
Mais si l'on s'avisait d'attraper dans un coin un de ces Congolais, de l'interroger, alors on s'apercevait que quelque chose de très grave se tramait contre l'indépendance du Congo et contre l'Afrique.
Des sénateurs, des députés congolais aussitôt après les fêtes de l'indépendance se sauvaient hors du Congo et se rendaient ... aux États-Unis. D'autres s'installaient pour plusieurs semaines à Brazzaville. Des syndicalistes étaient invités à New-York.
Là encore, si l'on prenait l'un de ces députés ou de ces sénateurs dans un coin et qu'on l'interrogeait, il devenait patent que tout un processus très précis allait se mettre en route.
[...] Lumumba avait certain jour proclamé que la libération du Congo serait la première phase de la complète indépendance de l'Afrique Centrale et Méridionale et il avait très précisément fixé ses prochains objectifs: soutien des mouvements nationalistes en Rhodésie, en Angola, en Afrique du Sud.
Un Congo unifié ayant à sa tête un anticolonialiste militant constituait un danger réel pour cette Afrique sudiste, très proprement sudiste, devant laquelle le reste du monde se voile la face.
Nous voulons dire devant laquelle le reste du monde se contente de pleurer, comme à Sharpville, ou de réussir des exercices de style à l'occasion des journées anti-colonialistes.
Lumumba, parce qu'il était le chef du premier pays de cette région à obtenir l'indépendance, parce qu'il savait concrètement le poids du colonialisme, avait pris l'engagement au nom de son peuple de contribuer physiquement à la mort de cette Afrique-là.
Que les autorités du Katanga et celles du Portugal aient tout mis en œuvre pour saboter l'indépendance du Congo ne nous étonne point. Qu'elles aient renforcé l'action des Belges et augmenté la poussée des forces centrifuges au Congo est un fait.
Mais ce fait n'explique pas la détérioration qui s'est installée progressivement au Congo, ce fait n'explique pas l'assassinat froidement décidé, froidement mené de Lumumba, cette collaboration colonialiste au Congo est insuffisante à expliquer pourquoi en février 1961 l'Afrique va connaître autour du Congo sa première grande crise.
[...] Il faudra qu'elle comprenne qu'il ne lui est plus possible d'avancer par régions, que, comme un grand corps qui refuse toute mutilation, il lui faudra avancer en totalité, qu'il n'y aura pas une Afrique qui se bat contre le colonialisme et une autre qui tente de s'arranger avec le colonialisme.
Il faudra que l'Afrique, c'est-à-dire les Africains, comprennent qu'il n'y a jamais de grandeur à atermoyer et qu'il n'y a jamais de déshonneur à dire ce que l'on est et ce que l'on veut et qu'en réalité l'habileté du colonisé ne peut être en dernier ressort que son courage, la conception lucide de ses objectifs et de ses alliances, la ténacité qu'il apporte à sa libération.
Lumumba croyait en sa mission. Il avait une confiance exagérée dans le peuple. Ce peuple, pour lui, non seulement ne pouvait se tromper, mais ne pouvait être trompé. Et de fait, tout semblait lui donner raison.
Chaque fois par exemple que dans une région les ennemis du Congo arrivaient à soulever contre lui l'opinion, il lui suffisait de paraître, d'expliquer, de dénoncer, pour que la situation redevienne normale.
Il oubliait singulièrement qu'il ne pouvait être partout à la fois et que le miracle de l'explication était moins la vérité de ce qu'il exposait que la vérité de sa personne.
Lumumba avait perdu la bataille pour la présidence de la République.
Mais parce qu'il incarnait d'abord la confiance que le peuple congolais avait mise en lui, parce que confusément les peuples africains avaient compris que lui seul était soucieux de la dignité de son pays, Lumumba n'en continua pas moins à exprimer le patriotisme congolais et le nationalisme africain dans ce qu'ils ont de plus rigoureux et de plus noble.
Alors d'autres pays beaucoup plus importants que la Belgique ou le Portugal décidèrent de s'intéresser directement à la question. Lumumba fut contacté, interrogé. Après son périple aux États-Unis la décision était prise: Lumumba devait disparaître.
Pourquoi ? Parce que les ennemis de l'Afrique ne s'y étaient pas trompés. Ils s'étaient parfaitement rendus compte que Lumumba était vendu, vendu à l'Afrique s'entend. C'est-à-dire qu'il n'était plus à acheter.
Les ennemis de l'Afrique se sont rendu compte avec un certain effroi que si Lumumba réussissait, en plein cœur du dispositif colonialiste, avec une Afrique française se transformant en communauté rénovée, une Angola "province portugaise" et enfin l'Afrique orientale, c'en était fini de "leur" Afrique au sujet de laquelle ils avaient des plans très précis.
Le grand succès des ennemis de l'Afrique, c'est d'avoir compromis les Africains eux-mêmes. Il est vrai que ces Africains étaient directement intéressés par le meurtre de Lumumba. [lire "L'émergence d'une bourgeoisie sous-développée en Afrique"]
Chefs de gouvernement fantoches, au sein d'une indépendance fantoche, confrontés jour après jour à une opposition massive de leurs peuples, ils n'ont pas été longs à se convaincre que l'indépendance réelle du Congo les mettrait personnellement en danger.
Et il y eut d’autres Africains, un peu moins fantoches, mais qui s’effraient dès qu’il est question de désengager l’Afrique de l’Occident.
On dirait que ces Chefs d’État africains ont toujours peur de se trouver en face de l’Afrique. Ceux-là aussi, moins activement, mais consciemment, ont contribué à la détérioration de la situation au Congo. Petit à petit, on se mettait d’accord en Occident qu’il fallait intervenir au Congo, qu’on ne pouvait pas laisser les choses évoluer à ce rythme.
Un soldat irlandais de l'ONUC (Opération des Nations unies au Congo). Le contingent irlandais était en opération au Congo du 28 juillet 1960 au 30 juin 1964. L'ONUC fut présent au Congo du 14 juillet 1960 au 30 juin 1964.
Petit à petit, l’idée d’une intervention de l’O.N.U. prenait corps. Alors on peut dire aujourd’hui que deux erreurs simultanées ont été commises par les Africains.
Et d’abord par Lumumba quand il sollicita l’intervention de l’O.N.U. Il ne fallait pas faire appel à l’O.N.U. L’O.N.U. n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme, et chaque fois qu’elle est intervenu, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur.
[...] Il n’est pas vrai de dire que l’O.N.U. échoue parce que les causes sont difficiles.
En réalité, l’O.N.U. est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute a échoué.
Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère.
Car enfin, avant l’arrivée de l’O.N.U., il n’y avait pas de massacres au Congo. Après les bruits hallucinants propagés à dessein à l’occasion du départ des Belges, on ne comptait qu’une dizaine de morts. Mais depuis l’arrivée de l’O.N.U. on a pris l’habitude chaque matin d’apprendre que les Congolais par centaines s’entremassacraient.
On nous dit aujourd’hui que des provocations répétées furent montées par des Belges déguisés en soldats de l’Organisation des Nations Unies. On nous révèle aujourd’hui que des fonctionnaires civils de l’O.N.U. avaient en fait mis en place un nouveau gouvernement le troisième jour de l’investiture de Lumumba. Alors on comprend beaucoup mieux ce que l’on a appelé la violence, la rigidité, la susceptibilité de Lumumba.
Tout montre en fait que Lumumba fut anormalement calme.
Les chefs de mission de l’O.N.U. prenaient contact avec les ennemis de Lumumba et avec eux arrêtaient des décisions qui engageaient l’Etat du Congo. Comment un chef de gouvernement doit-il réagir dans ce cas ? Le but recherché et atteint est le suivant: manifester l’absence d’autorité, prouver la carence de l’Etat.
Donc motiver la mise sous séquestre du Congo.
Le tort de Lumumba a été alors dans un premier temps de croire en l’impartialité amicale de l’O.N.U. Il oubliait singulièrement que l’O.N.U. dans l’état actuel n’est qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les Grands, pour continuer entre deux conflits armés la "lutte pacifique" pour le partage du monde.
Le Représentant spécial Martin Kobler arrive au siège de la MONUSCO (Mission de l'Organisation des Nations Unies de stabilisation en République démocratique du Congo) à Kinshasa pour prendre ses fonctions le 13 août 2013. La MONUC (Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo), créée le 30 novembre 1999, s'est muée en MONUSCO le 1er juillet 2010.
© MONUSCO/Myriam Asmani.
[...] Les Africains devront se souvenir de cette leçon. Si une aide extérieure nous est nécessaire, appelons nos amis. Eux seuls peuvent réellement et totalement nous aider à réaliser nos objectifs parce que précisément, l’amitié qui nous lie à eux est une amitié de combat.
Mais les pays africains de leur côté, ont commis une faute en acceptant d’envoyer leurs troupes sous le couvert de l’O.N.U. En fait, ils admettaient d’être neutralisés et sans s’en douter, permettaient aux autres de travailler.
Il fallait bien sûr envoyer des troupes à Lumumba, mais pas dans le cadre de l’O.N.U. Directement. De pays ami à pays ami. Les troupes africaines au Congo ont essuyé une défaite morale historique. L’arme au pied, elles ont assisté sans réagir (parce que troupes de l’O.N.U.) à la désagrégation d’un Etat et d’une nation que l’Afrique entière avait pourtant salués et chantés. Une honte.
Notre tort à nous, Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas.
Notre tort est d'avoir cru que l'ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité. Si Lumumba gêne, Lumumba disparaît. L'hésitation dans le meurtre n'a jamais caractérisé l'impérialisme.
Voyez Ben M'Hidi, voyez Moumié, voyez Lumumba. Notre tort est d'avoir été légèrement confus dans nos démarches. Il est de fait qu'en Afrique, aujourd'hui, les traîtres existent. Il fallait les dénoncer et les combattre. Que cela soit dur après le rêve magnifique d'une Afrique ramassée sur elle-même et soumise aux mêmes exigences d'indépendance véritable ne change rien à la réalité.
Des Africains ont cautionné la politique impérialiste au Congo, ont servi d'intermédiaires, ont cautionné les activités et les singuliers silences de l'O.N.U. au Congo.
[...] Il y a en Afrique une certaine tendance représentée par certains hommes. C'est cette tendance dangereuse pour l'impérialisme qui est en cause.
Gardons-nous de ne jamais l'oublier: c'est notre sort à tous qui se joue au Congo. »
Frantz Fanon, extrait de "La mort de Lumumba: Pouvions-nous faire autrement ?" article paru dans "Afrique Action" n°19 du 20 février 1961.
L'O.N.U. le syndicat des pirates au Congo.