Le leadership de Mekatilili wa Mwenza face aux envahisseurs anglais

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Statue de Mekatilili wa Menza

Statue de Mekatilili wa Menza à Malindi. Mekatilili wa Menza fut longtemps une héroïne méconnue du grand public malgré qu'elle est la première héroïne du combat pour la liberté contre les envahisseurs anglais. Sa reconnaissance parmi les héros du Kenya fut concrétisée le 20 octobre 2010.
© Page Facebook Mekatilili wa Mwenza

« L'oppression, l'exploitation et les contradictions engendrées par le colonialisme entraînèrent de manière inévitable, des mouvements de résistance. Celle des femmes se manifesta sous diverses formes. Il existe malheureusement peu de textes de cette période traitant des expériences vécues par les femmes durant les luttes anticoloniales. Nous disposons par contre, de textes écrits ou enregistrés bien plus tard, durant le vingtième siècle, y compris des comptes-rendus de première main, qui décrivent la participation active des femmes aux mouvements de libération.


Mekatilili wa Mwenza fut l'une des premières femmes guérillero à avoir acquis un statut légendaire au Kenya. Dans un texte écrit en l'an 2000, Hannah Tsuma décrit la manière dont Mekatilili conduisit son peuple, les Giriyama du littoral kenyan, à se révolter contre leurs colonisateurs britanniques en 1913 et 1914. Mekatilili considérait le travail forcé non payé, ainsi que le manque de respect des cultures locales, comme une forme d'esclavage. C'est avec bravoure qu'elle affronta le danger physique et l'emprisonnement; elle dénonça les chefs locaux qui coopéraient avec les colonisateurs et concentra ses efforts autour de la mobilisation des femmes, les encourageant à refuser d'envoyer leurs fils se battre pour les Britanniques pendant la Première Guerre Mondiale.


Le récit de Tsuma montre comment Mekatilili réussit à tirer parti de ses talents et des ressources que lui offrait sa position de femme, de mère, de dirigeante de sa communauté, d'oratrice et d'interprète. Les systèmes traditionnels de croyances et de protection assurée par les plantes médicinales, l'équilibre social, la confiance et l'engagement par serment, constituèrent des facteurs essentiels à la campagne menée par Mekatilili et beaucoup d'autres d'ailleurs. Avant et après Mekatilili, les systèmes de rites et de croyances jouèrent un rôle important dans les mouvements de résistance de la région, tels que les révoltes inspirées par le culte de Nyabingi en Ouganda et au Rwanda tout au début du vingtième siècle;


[…] Tout comme ce fut le cas dans le combat mené par Mekatilili, les énergies spirituelles et le rituel renforcèrent l'engagement, la discipline et l'espoir en un avenir meilleur des guerrières mau mau.


[…] Les kaya sont des temples et des lieux de culte sacrés des Mijikenda; chaque tribu a son propre kaya. Ces temples sont généralement situés dans des endroits reculés, au fond des forêts. Traditionnellement, le conseil des aînés y séjournait. On disait que, quand un étranger s'en approchait, il ne pouvait pas en découvrir l'entrée. Et même s'il parvenait à y entrer, il ne voyait pas les gens à l'intérieur, mais ceux-ci le voyaient. C'est la raison pour laquelle les femmes et les enfants allaient s'y réfugier, dès qu'une guerre se déclenchait. Dans les temps ordinaires, seules les personnes autorisées pouvaient y entrer. On trouve toujours encore des kaya à l'heure actuelle, mais peu d'entre eux sont entretenus.


Mekatilili wa Menza était une femme giryama; elle était née à Kaloleni. Elle vécut à l'époque de la Première Guerre Mondiale. Elle avait atteint l'âge adulte, à ce moment-là. Enfant déjà, elle était très active et éveillée. Le mode de vie des gens, du temps de son enfance, était celui des kaya; en ce temps-là, les aînés des kaya étaient hautement respectés. Mekatilili n'aima pas le moment où les hommes blancs arrivèrent et établirent leurs rapports de maîtres à serviteurs. Cela la poussa à chercher des moyens de venir en aide à son peuple. L'homme blanc venait et s'emparait des maris et des fils, les obligeant à travailler sur les fermes européennes sans qu'on les paye. On ne respectait plus les guérisseurs; on ne reconnaissait plus leurs pouvoirs. Les hommes blancs détruisaient les kaya et le conseil des aînés; à leur place, ils instituèrent des chefs de villages et de tribus pour diriger. Jusque-là, le leadership était du domaine des aînés des kaya.


Les chefs de villages et de tribus étaient les laquais des colons. Ils n'essayaient pas d'aider les leurs. Mekatilili détestait les hommes blancs, parce qu'ils avaient détruit les kaya et réduit leurs maris et leurs fils à l'état d'esclaves.


Un jour, un gouverneur alla voir un certain chef et Mekatilili était présente. Le gouverneur dit au chef de lui donner des jeunes gens qui iraient se battre à la guerre. On se préparait alors à la Première Guerre Mondiale. Mekatilili dit au chef de dire à l'homme blanc que, s'il voulait que des enfants africains aillent se battre à la guerre, qu'il essaye de prendre un poussin et qu'il voie ce que la poule lui ferait. C'était là une devinette que Mekatilili posait à l'homme blanc; cela voulait dire que s'il s'emparait d'un poussin, la poule l'attaquerait et le grifferait pour protéger ses poussins. L'homme blanc prit un poussin et la poule l'attaqua et le griffa. Alors l'homme blanc s'empara de son fusil et tua la poule. Il renvoyait un message, signifiant que celui qui résisterait serait tué d'une façon similaire.


L'amertume que Mekatilili ressentait la conduisit à mener une campagne parmi les femmes de divers villages, les encourageant à ne pas permettre à leurs fils d'être assujettis et envoyés à la guerre. Elle leur dit que cette guerre avait lieu entre Européens et qu'elle ne concernait pas les Africains. Les gens l'écoutèrent et suivirent ses instructions. Certains hommes refusèrent de fournir un travail non rémunéré, certains refusèrent de payer les taxes et d'autres refusèrent de participer aux réunions des chefs. Les gens commencèrent à s'agiter, en faveur de la reconstruction de leurs kaya. Les Européens virent en Mekatilili une fauteuse de troubles qui allait leur causer des problèmes; alors ils l'attrapèrent et la traduisirent devant la cour de justice, l'accusant d'être une guérisseuse et d'organiser des réunions de femmes.


Quand Mekatilili répondit aux accusations, elle dit qu'elle n'était pas une guérisseuse. Elle reconnut qu'elle organisait des rencontres, mais elle ajouta que ces rencontres auraient pu être organisées par n'importe quelle femme qui avait mis un enfant au monde, à cause de la souffrance qu'elles ressentaient pour leurs enfants. Nul n'était besoin d'une guérisseuse pour le leur apprendre.


Mekatilili était une oratrice dotée d'une voix autoritaire qui retenait l'attention des gens. Les hommes la suivirent pour sa témérité et pour que les gens retournent aux kaya, en disant que la plupart des calamités dont ils souffraient provenaient du fait qu'ils n'adhéraient plus aux tabous et aux instructions des guérisseurs et des aînés des kaya. Elle disait aussi que cela était lié au fait que les hommes blancs avaient sali leur pays et qu'il fallait retourner aux kaya pour le purifier.


Les Giryama, hommes et femmes, avec à leur tête des guérisseurs, la suivirent. Ils commencèrent leur voyage de retour au kaya du Giryiama. Mekatilili annonça que toute femme qui refuserait de l'accompagner paierait une amende. Et il y en eut qui payèrent l'amende. Quand ils arrivèrent au kaya, Mekatilili leur rappela tous leurs griefs - l'imposition forcée, la destruction des kaya, l'esclavage, l'obligation pour les jeunes gens d'aller se battre à la guerre, le remplacement du conseil des aînés par des chefs qui étaient des laquais des Européens. Les gens touchés par ses paroles, étaient d'accord avec elle. On fit appel à des guérisseurs, leurs demandant de purifier le pays. Ceux-ci, avec les aînés des kaya, firent prêter des serments en vue de l'unité.


Ils firent prêter trois types de serments: le serment de Mwanza, le serment de Fisi et le serment de Mukushekushe. Quiconque trahissait ces serments se voyait couvrir de la malédiction de la mère, ou mourait tout simplement. Après avoir fait prêter chacun de ces serments, on mit les herbes qui devaient purifier le kaya dans des pots à eau. Les femmes portèrent ces pots et aspergèrent de cette eau remplie d'herbes chaque point d'eau, y compris les lacs et les fleuves.


En s'en remettant à la force de ces serments, les gens refusèrent dès lors de participer aux réunions des chefs. Comme dans le passé, on porta les affaires locales devant les aînés des kaya et personne ne paya plus les taxes. On intima aux chefs qui étaient des laquais de cesser leur corruption - de ne plus donner [aux Européens] d'enfants giryama et de ne plus révéler les lieux où les jeunes gens se cachaient. Les chefs craignaient le peuple, parce que la communauté croyait en Mekatilili.


Les Giryama et les colons européens commencèrent à s'affronter. Les Giryama refusaient de se laisser diriger et n'avaient pas peur des fusils. Mekatilili encouragea les gens à ne pas avoir peur des hommes blancs. Elle se rendit à des multiples endroits, comme Marafa et Galama, invitant les gens à s'unir, dans l'intention de se battre pour leurs droits de citoyens. On refusa d'accepter et de répondre aux ordres des dirigeants blancs. Un certain nombre de guérisseurs et un homme, du nom de Wanje, apportèrent leur soutien à Mekatilili. Ils encouragèrent d'autres geans à lui apporter leur soutien.


Quand les affrontements se multiplièrent, les hommes blancs se saisirent de Makatilili et de Wanje, avec l'aide des chefs. Pour les empêcher d'inciter leurs peuples, on les condamna et on les bannit; on les enferma dans une prison de Kisii [une ville de la Province de Nyanza, au Kenya Occidental], très loin de chez eux. Ils ne restèrent pas longtemps emprisonnées. Ils prirent la fuite et repartirent chez eux, en marchant depuis Kisii jusqu'à la côte. Ils arrivèrent chez eux et travaillèrent discrètement avec les gens pendant de nombreux mois, sans que les blancs qui était à leur recherche ne les retrouvent.


Les hommes blancs donnèrent des ordres et offrirent une récompense à celui qui leur apprendrait où se trouvait Mekatilili. Quatre mois après, on l'attrapa chez elle, à une époque où elle avait d'ores et déjà commencé à préparer son peuple à la résistance…


Finalement les blancs comprirent qu'ils ne pourraient plus empêcher ni influencer ce qu'elle faisait. Alors ils décidèrent d'en faire une dirigeante de son peuple. Elle dit aux blancs que s'ils voulaient la paix, il leur faudrait accepter le rétablissement des kaya et des conseils des aînés. Les gouverneurs blancs acceptèrent ses conditions. Les Giryama sortirent victorieux du combat grâce à Mekatilili.


Dans sa vieillesse, elle repartit vivre à Kaloleni, d'où elle venait. Sa mort fut miraculeuse. Elle pilait [du grain] au village, lorsque la terre s'ouvrit, doucement; elle s'enfonça avec son mortier, pilant jusqu'à sa disparition sous terre. Jusqu'à ce jour, il y a un guérisseur au village qui déclare être possédé par l'esprit de Mekatilili, chaque fois qu'il guérit un malade. Quand il est possédé, l'esprit lui indique les herbes qui guériront la maladie. Sa tombe est située à l'endroit où elle s'est enfoncée sous terre avec son mortier. Jusqu'à ce jour, il y a un buisson près de la tombe qu'on ne nettoie jamais. On l'utilise comme sanctuaire. Cependant, le village n'est plus tout à fait au même endroit. »


À lire dans "Des femmes écrivent l'Afrique: L'Afrique de l'Est", Volume 3 p.77, 80, 554-557



A short documentary about Mekatilili wa Menza shot in Malindi.


Agiriama Mark 100 Years Of Mekatilili Wa Menza death.